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II. Pourquoi le banquet?



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Cours en différé du 05 février 2011- Partie 2 - Cours8 de Bernard Stiegler

Prise de notes - Partie 2


Ce cours est dédié au dialogue : Le banquet.


Diotima Shame-Culture : culture de la honte, une société de la honte, ces anthropologues américains disent que les grecs n'appartiennent pas à la société de la culpabilité. Ils disent aussi ce qui obsède la "shame-culture", la culture de l'Aidôs, de la honte; c'est l'estime publique, l'honneur en ce sens-là... Mais il faut être capable d'éprouver la honte pour être honorable. Tout comme il faut être capable de connaître la justice pour être capable d'être juste. Il rapporte cela à l'opinion publique, à l'Aidôs, à la reconnaissance de l'opinion des autres, aux regards que les autres jettent sur nous.

Platon est celui qui va faire passer la société de la honte à la société de la culpabilité. Que Platon va instiller une philosophie de la culpabilité dans la société grecque.

Pas Platon tout seul bien entendu! Une évolution générale de la société grecque. Mais je soutiens celui qui va véritablement faire ce geste c'est Platon. Et si j'y insiste, parce que pour moi entre les présocratiques, Socrate y compris, parce que pour moi Socrate est un présocratique, c'est pour ça qu'il peut être dit daimônique, il est encore habité par les démons de la société de la honte. Et Platon et les Platoniciens et les post platoniciens, Aristote... et Paul de Tarse, le fondateur du christianisme. On est au contraire dans la société de la culpabilité.

Ce ne sont pas les mêmes mondes, et ce que fait Platon, il fait accoucher la société de la honte d'une société de la culpabilité. Mais cet accouchement, si nous oublions, le moment de la conception parce que avant l'accouchement il y a la Genèse, il y a la parturiente, il y a la gestation... de la société de la honte. Si nous ne comprenons pas la différence entre ces deux sociétés, nous pouvons ne pas comprendre d'où vient la philosophie, nous ne pouvons pas comprendre les limites de la philosophie.

Que nous vivons aujourd'hui, nous au 21ème siècle, ce que nous sommes entrain de lire, ce sont les limites de la philosophie, c'est à dire de l'occident. Car l'occident = la philosophie / la philosophie = l'occident.

Philosophie de l'occident :

La philosophie de Platon mais aussi Newton, Einstein et toutes les sciences qui en sont sorties, cela a été les fruits de la philosophie. L'astrophysique que l'ont pratiquent aujourd'hui avec des sondes spatiales, etc. Cela fait parti du mouvement, nuancé par la philosophie, pas Socrate initiant Platon après avoir été lui-même initié par Parménide et Diotima.

Socrate

Mais aujourd'hui, cette simulation est entrain de rencontrer ces limites. Elle vient à la rencontre des penseurs chinois, de Confucius et d'autres. Ce sont de grands penseurs aussi! Peut-être comme il y a eu une sortie de la civilisation de la honte et une entrée d'une civilisation de la culpabilité, nous entrons dans une troisième civilisation.



Qui ne serait ni de la honte ni de la culpabilité et qui passe par la technologie. Car si nous sommes en contact avec la Chine et Confucius, aujourd'hui, c'est par internet, c'est par la technologie. Par cette technologie qui fait tomber Ben Ali et Moubarak.

Voilà, ce qu'on nous étudions, voilà, les enjeux de ce cours, et puisque je viens de vous parler d'Internet et de la jeunesse égyptienne et tunisienne héroïque, prête à mourir pour la liberté. C'est ça être héroïque, pour la dignité ...

Dignité, c'est à dire honte et Aidôs, il y a un lien direct entre le sentiment de la honte et le sentiment de la dignité. Il est honteux, il n'est pas digne, c'est quasiment synonyme. Ce sont des ""digital"", ce sont ces combattants tous jeunes qui ont trouvé le courage, au delà de leurs ainés, d'affronter ces dictatures, cette police terrible de Ben Ali, cette police de Moubarak. Et bien il y a quelque chose, qu'il les a porté, c'est l'espace numérique. Vous allez comprendre qu'il y a avoir...

Maintenant, je vais vous parler de la jeune génération grecque. À l'arrière plan de ce passage du Muthos au Logos, il y a une mutation de la structure familiale qui conduit à un changement du rapport entre les générations.

Les grecs anciens croyaient en la solidarité familiale, la croyance que la Grèce archaïque partageait avec d'autres sociétés des premiers temps. Que la vie du fils est la prolongation de celle du père.

Exemple : si mon père a été un Héros, je récupère son caractère héroïque, j'hérite de son héroïsme. Une généalogie, il y a un liage, la noblesse dont on parle tous ces gens qu'on parle ce sont des combattants, des nobles dans ce sens-là. Et il hérite des dettes morales que son père tout comme il hérite de ses dettes commerciales. Il hérite de sa gloire mais il hérite aussi de ses obligations. Une société de vendetta. Si mon arrière grand-père a tué le père ou la fille... La guerre continue avec la famille en face. Une société clanique...

Car cela impliquait que tout le poids du sentiment religieux (croyance) et de la loi religieuse empêchait l'apparition d'une conception véritable de l'individu en tant que personne avec des droits et des responsabilités personnelles.

La libération de l'individu des liens du clan et de la famille est une des principales réalisations du rationalisme (philosophie des lumières) grec et une réalisation dont le mérite revient à la démocratie athénienne.

Clisthène casse les clans, les tribus, ça suffit les vendettas à partir de maintenant vous êtes tous divisés en dèmes, en 10 communautés qui sont fabriquées de manière purement arbitraire pour casser les liens, du sang, les liens tribaux et pour unifier Athènes. C'est l'origine de la dème-cratie (démocratie). Ça repose sur la destruction de la société patriarcale.

Tout ça se produit parce que la pratique de la lettre se généralise. Tout ça n'est possible qu'à travers l'écriture.

Vers 650, quand apparaissent les premiers textes législatifs ou juridiques, la royauté a disparu et jusqu'au souvenir de ces lointains palais. Depuis un siècle, au moins, l'écriture alphabétique est en circulation : les marchands, les poètes, les artisans, les particuliers, chacun en use, à son gré et comme il l'entend. Simple, lisible, elle n'est, elle ne sera jamais réservée à des professionnels. Mais, à partir de 650, avec les législateurs qui choisissent de mettre par écrit les lois de la cité, l'écriture change de statut : elle devient un opérateur de publicité, elle est constituante du champ du politique. Par l'audace de quelques-uns, conscients de l'enjeu. Solon, mieux que tout autre, affirme le geste fondateur : écrire les lois «semblablement pour le mauvais et pour le bon», au lieu l'imposer une tyrannie ou d'attiser les dissensions. Les règles fondamentales de la vie en cité, l'écriture les rend monumentales, visibles et parfaitement lisibles afin que chacun se sou mette à leur volonté. Une machine complexe leur sert de support dans le Prytanée, dans le lieu de la décision politique, tables d'écriture dressées au centre de l'espace public, tableaux graphiques consacrant l'indépendance de l'écrit. Mais affirmant aussi la volonté d'agir, de transformer la vie publique, d'imposer de nouvelles pratiques que ce soit l'intervention de la cité dans les crimes de sang ou l'obligation pour l'assemblée de s'en remettre à la majorité.
Marcel Detienne



00:17:00

... Ce qui fait apparaitre une génération de native de la lettre qui va venir bousculer le natif de la mythologie. Cela va un peu moins vite qu'à notre époque, chez nous se font en 20, 30, 40 ans, à cette époque-là c'est 2, 3, 4 siècles... ça va moins vite et dans ce moins vite, il y en a qui se trouve entre les natifs du mythe et le natif de la lettre. Socrate par exemple, il est entre ces 2 civilisations. Et il hérite aussi, en tant que tel, de cette tradition qui est encore très vivante à l'époque de Socrate et même de Platon, où les fautes morales sont encore héritées par les descendants. Il y a une émancipation des jeunes par rapport à leurs parents, mais n'empêche que les fautes morales continuent à être héritées par leurs descendants et le Kléos également. Tout ça constitue le bain d'une époque qui précède Socrate qui est celle d'Eschyle (le père de tragédie Grecque). À l'époque d'Eschyle, le daimôn est toujours-là, une société encore plein de démons. Eschyle qui est l'auteur des Perses mais aussi de Prométhée enchainé. Mais le daimôn connait une transformation, dans les Perses d'Eschyle. Le grec rusé est avec la prêtresse Timo; elle n'avait pas agi en tant que médiatrice d'une intention surnaturelle. Dans les perses voilà une occurrence d'action menée dans la procession d'un daimôn.

Il y a une atmosphère opprimante et hantée... Il cite : Glotz qui soutient chez Eschyle, il y a un retour des démons et que se serait une résurgence que tout à coup dans la société grecque policée de la sorcellerie quasiment! Pas du tout, ce n'est pas un retour des démons, les démons n'ont jamais été absents. Eschyle n'avait pas besoin de faire renaître le monde des daimôns : c'est dans ce monde qu'il est né. Et son intention n'est pas d'y ramener ses concitoyens, mais au contraire de les conduire à travers ce monde pour les en faire sortir. Eschyle est celui qui essaye de faire sortir la société traditionnelle, d'elle-même, pour aller vers quoi? À travers ce texte qui s'appelle les Euménides : dans un monde transformé par l'action d'Athéna en un monde nouveau de justice rationnelle.

Cette justice rationnelle qui se cherche... Cette justice qui est dans tous les dialogues de Platon, par quoi commence la République par exemple? Qu'est-ce la justice? La République qui est reconnu comme livre de Platon, erreur! Il faut le lire... Mais c'est une régression la République de Platon.

La justice c'est le sujet de la République mais pratiquement tous les dialogues de Platon parfois à travers la vertu, parfois par d'autres sujets, la vérité, la beauté, etc. Le sujet c'est toujours la justice. Parce que ce qui obsède les grecs comment fonder la justice. Comment être juste, c'est ça leur obsession. Tous! Parce qu'ils ont créé une nouvelle société, une nouvelle façon de vivre, avec une loi, droit public, d'un débat... Quel critère donner à la justice, quel critère de décision sur la base d'une critique, c'est à dire sur une justice rationnelle. Une justice rationnelle, c'est une justice critique... On n'arrête pas de transformer la société et de se transformer soi-même, dans ce monde-là.

00:25:11

Cette transformation passe par une libération de la tradition. Et elle conduit à un nouveau daimôn chez Platon qui est d'abord celui de Socrate.

- Il y a le daimôn de Socrate qui est cette résurgence de la société archaïque à l'intérieur de Socrate qui est peut-être cependant irréductible, c'est ma thèse... On peut réduire la société traditionnelle, on peut en sortir mais sans effacer ce qui nous vient de la société traditionnelle comme étant ce dont Socrate nous dit, dans le Ménon. Que si on veut répondre à la question de l'aporie de Ménon, à un moment donné on est obligé d'en revenir, là! À cette société daimônique et peut-être que c'est toujours le cas pour nous!

Peut-être d'ailleurs que si nous ne le comprenons pas. (Nous les hypermodernes du 21ème siècle, nous que nous nous revendiquons de la raison, de la rationalité, c'est mon cas je suis un rationaliste comme Freud) et bien nous aurons peut-être de plus en plus de mal à convaincre les intégristes religieux de ne pas être intégristes.



Peut-être que si nous ne comprenons pas qu'en effet tout n'est pas réductible à la calculabilité du capitalisme consumériste mondialisé qui produit beaucoup de misère, d'extrême misère. Des milliards de gens qui crèvent de faim, de soif, de maladie mais aussi une misère symbolique dont nous souffrons tous, nous et nos enfants. Nous ne comprenons pas qu'il y a peut-être un problème qu'au fait qu'on puisse tout réduire à la calculabilité parce que ça produit, inévitablement ça.

Alors peut-être oui, peut-être qu'en effet, les Ayatollahs prendront le pouvoir partout, les extrémistes Protestants en Amérique latine qui sont des sociétés évangéliques, les Juifs extrémistes qui vont mettre peut-être la planète à feu et à sang et les extrémistes Laïques car il y en a aussi, il y aussi des extrémistes de la laïcité, des gens qui sont absolument intolérants vis à vis de toutes croyances et qui du coup croient absolument à une laïcité absolument pure. Qui est une façon d'être totalement dogmatique, d'être totalement fanatisé, etc.


C'est une façon totalement perdue que c'était la pensée des lumières qui ne disaient jamais qu'il fallait supprimer les religions ... Qu'elles se développent! Par contre nous développons une pensée majeure, c'est à dire nous développons la raison.

00:28:18

Le daimôn habite Socrate et à travers Socrate, PLATON va finir par faire du daimôn, une puissance fondamentale de sa propre philosophie. Dans le dernier texte "le Timée"

Par la suite Platon reprit et transforma complètement cette idée, comme il le fit de tant à d'autres éléments de croyance populaire : le daimôn devient une espèce d'esprit directeur sublime ou de sur-moi freudien, qui dans le Timée, est identifié avec l'élément de pure raison en l'homme. Sous cette forme transfigurée, devenue moralement et philosophiquement recevable, il peut jouir d'un regain de vie chez les écrivains stoïciens et néo-platoniciens, et même chez les auteurs chrétiens du Moyen Age.

Ça annonce d'une certaine façon des thèses anciennes qu'on trouvera dans la critique de la raison pure. Quand à ce passage, quand à cette intériorisation du daimônique par Platon, lui-même, il faut ce souvenir que c'est le passage d'une civilisation de culpabilité à une civilisation de honte. Comment faut-il concevoir la relation entre une civilisation de culpabilité à une civilisation de honte. Cela doit être pensé en rapport avec l'évolution de la famille et du rapport entre le père et le fils. Il revient sur la question de la famille.

Dans la famille était la clé de voûte de la structure sociale archaïque, le premier élément organisé, le premier domaine de Droit. Son organisation était patriarcale, comme toutes les sociétés indo-européennes.

Le père a une puissance totale sur ses enfants, il a droit de vie et de mort, comme on disait. Le fils avait des devoir, il n'avait aucun droit, il reste perpétuel mineur, il n'atteignait jamais la majorité tant que son père n'était pas mort. Au sens patriarcal...

Plus de deux siècles après Solon, il va casser la société tribale que la juridiction familiale demeurait si puissante que Platon lui-même, qui n'était assurément pas un admirateur de la famille. Fut obligé d'y faire place dans la législation. Vous comprenez d'ailleurs pourquoi Platon déteste la famille dans la République.

Parce que dans la République, il essaye de CASSER la famille, ce qui nous choque aujourd'hui, moi le premier, parce que cela ressemble un peu au Stalinisme. Mais il y avait des raisons aussi, parce que quand le père avait le droit de vie et de mort sur ses enfants... On comprend qu'un type comme Platon ... "famille je vous hais ".



Le fils se soumettait au père avec la même obéissance inconditionnelle qui lui serait accordée, le temps venu, par ses propres enfants... Tout ça engendre des tensions internes, des tensions à l'intérieure de la société grecque qui vont finir à des violences, à des conflits, à des tyrannies, à des meurtres et à des procès. 300 procès qui vont conduire en particulier Socrate à boire la cigüe. C'est dans ce contexte-là que Socrate va devoir boire la cigüe. Dans un contexte dont on l'accuse de pervertir la jeunesse, la rendre indocile, de la rendre rebelle. On va dire tu as pervertit la jeunesse, tu as détruit les croyances religieuses comme Xénophane, tu es un impie et tu vas boire la cigüe ou alors tu t'en vas! Il dit: je vais boire la cigüe... Tout ça est en relation avec l'écriture, Platon, lui-même, accusera les sophistes de pervertir la jeunesse à travers l'écriture. Platon que lui-même pratique l'écriture. Chose qui conduit Socrate à devoir boire la cigüe qui est un pharmakon comme l'écriture. Nous sommes dans une situation pharmacologique et la jeunesse dans cette situation pharmacologique est le sujet de toutes les attentions, jeunesse des athéniens ambitieux en particulier, les "Ménon", les "Phèdre" sont des jeunes athéniens qui en veulent. Mais qui sont pervertis par l'esprit pourrit des sophistes à travers l'écriture. Ça ressemble beaucoup à la question d'aujourd'hui et au numérique. Ce n'est pas l'écriture qui pourrit tout ça, c'est une certaine pratique de l'écriture à l'époque des grecques, on le verra bientôt que l'esclave qui comprendra la géométrie qui la retrouvera dans sa mémoire, il sait lire! Parle-t-il grec demande Socrate? Oui répond, Ménon. Il sait aussi lire et même compter, il est éduqué. Car les grecs, ils les éduquaient leurs esclaves. Certains d'entre eux en tout cas.

00:35:15

Tyran Socrate vit entre deux époques, l'époque archaïque et l'époque rationaliste.Gilbert Murray, il dit qu'à l'époque de Socrate et de Platon la société grecque est appuyée de ce qu'il appelle un Conglomérat hérité.

La métaphore géologique est heureuse, car la croyance religieuse est géologique et ses principes, dans l'ensemble et avec des exceptions est l'agglomération plutôt que la substitution.

Dans la société grecque, un dieu ne chasse par un autre dieu, ils s'accumulent les uns avec les autres qui forment un système de dieux. Et en général, il est très rare qu'une nouvelle structure de croyances efface complètement la structure qui la précède. Donc, il y a une rupture entre la société archaïque et la société rationaliste mais ça ne veut pas dire que la société rationaliste a effacé les restes de la société archaïque. Et heureusement! Des gens qui ont voulu faire ces effacements, ça existe, Staline, Hitler et un certains nombres d'autres. Mais en règle générale, ça conduit toujours à des catastrophes. L'ancien survit comme un élément dans le nouveau... Ce Conglomérat, cet héritage culturel, le patrimoine; ce Conglomérat dont surgit ce qui rompt avec lui à savoir le logos contre le muthos. Il devient le fermant d'une situation conflictuelle que l'on verra revenir avec Antigone qui s'oppose au maitre, au Tyran...

Tout ça va conduire à une crise parce que; au cours de cette époque, l'écart antre les croyances du peuple et les croyances des intellectuels s'élargit jusqu'à une rupture complète préparent ainsi à la voie de l'effritement progressif du Conglomérat.

Cela va être la décadence d'Athènes, c'est là que Socrate va être condamné à mort et qu'un certain nombre de grandes catastrophes vont se produire qui sont liées à une accusation de la part du peuple, des croyances populaires, à une accusation à l'endroit des sophistes, des philosophes... d'être devenus en tant que natif de la lettre, des mécréants des gens qui n'arrêtent pas de mettre en cause les croyances religieuses.


Xénophane, le présocratique qui avait dit ; si un bœuf savait peindre son dieu il ressemblerait à un bœuf. Xénophane était profondément religieux, ce n'est pas parce qu'il disait cela qu'il ne croyait pas aux dieux, mais il avait une conception en un dieu qui n'était pas comme les hommes par l'apparence ou par l'esprit, il préfigurait un dieu du philosophe, un dieu de l'intellect, un dieu purement conceptuel, un dieu qui n'est pas au ciel dans l'imagerie du catéchisme...

Xénophane n'était pas un mécréant, il croyait et est profondément religieux mais il se rendait compte qu'il s'agissait de foi et non de connaissance. Ça précise les choses! Socrate n'est pas contre la piété, d'ailleurs je suis daimônique mais je ne veux pas qu'on mélange 2 types de croyances; une croyance qui est la foi religieuse et une connaissance qui est une croyance, un savoir positivement constitué et démontré.

Si on mélange les croyances religieuses avec les démonstrations alors on n'est fichu, on peut nous raconter absolument n'importe quoi.

Il faut distinguer entre ce qui est connaissable et de ce qui ne l'est pas! Voilà l'enjeu! Évidement le Ménon est perturbant parce que tout à coup, pour pouvoir fonder la distinction de ce qui est connaissable et qui n'est pas connaissable et bien il faut à faire ce qui n'est pas connaissable. Cela s'appelle une aporie. C'est une difficulté redoutable mais c'est la question du désir!

Diotima Cette question du désir qui est aussi la question de ce qui n'est pas connaissable c'est l'affaire de la mystagogie et de la poésie. Les poètes nous parlent toujours en particulier les poètes lyriques qui s'accompagnent d'une lyre et le grand poète des poètes c'est Orphée. Les poètes lyriques parlent de leurs sentiments...

Dans la société grecque, il y a des dieux, des démons mais il y a aussi des poètes, des rhapsodes, des aèdes qui sont convoqués. Là aussi c'est très étonnant, Platon va condamner la poésie, dans la République en particulier, il dira, pas de poètes dans la République, les poètes sont dangereux, les poètes sont des gens qui nous racontent des histoires, qui nous rendent faibles qui nous éloignent de la vérité justement de la connaissance pas simplement la croyance. Et bien là, ce sont les poètes qui sont convoqués.

00:46:31

Pourquoi les poètes sont convoqués? Les poètes chez les grecs, qu'on appelle les lyriques, les aèdes et les rhapsodes, d'abord ils appartiennent à la civilisation de la honte, ils y jouent un rôle extrêmement important et ils appartiennent aussi à la culture tragique. Si Platon voudra à un moment donné se débarrasser des poètes, c'est parce qu'il veut sortir de la société tragique pour rentrer dans une autre société. Qui est une société de l'immortalité de l'âme, dans la société tragique il n'y a pas d'immortalité de l'âme, l'âme peut revenir! Mais elle n'est pas immortelle. Dire que l'âme est immortelle pour un grec tragique c'est absolument impie, se prendre pour un dieu. Il n'y a que les dieux qui ne sont pas immortels. Les mortels sont mortels, ils peuvent revenir mais ils sont aux enfers sous terre, non pas accès à la lumière. Sauf quand ils se réincarnent à travers un démon et qu'ils reviennent à la surface. Et ça ce n'est pas une immortalité! C'est une façon d'être présent dans les âmes qui succèdent, c'est un Kléos. C'est une reconnaissance, une gloire qui dure encore aujourd'hui.

Exemple pour Achille, Socrate, Platon ... Ils sont en nous, ils nous font, nous sommes ces gens-là. Ils nous ont complètement constitué. Avec leur Conglomérat hérité, avec leur révolution rationaliste contre le Conglomérat hérité. Tout ça est en nous, dans notre inconscient.

Les poètes, cela dit, si Platon les mettra à la porte dans la République, c'est parce qu'eux représentent la société tragique que Platon veut sortir. Maintenant s'ils sont présents dans Ménon et ils le sont encore dans le Banquet. C'est pour une raison très précise. C'est parce que les poètes, ce sont ceux qui pratiquent la poésie. Hors la poésie, chez les grecs c'est une mnémotechnique, les poètes sont des spécialistes de la mémoire. Ils ont des capacités de voyance, comme dira encore Arthur Rimbaud "la lettre du voyant". Les poètes ont des dons d'extra lucidité. Voilà ce que disent les poètes à l'époque du Conglomérat hérité, les poètes de l'âge grec. Ils ont la capacité à voir l'invisible.

Comment ils peuvent accéder à l'invisible? Par des pratiques très particulières... On verra plus avec Jean-Pierre Vernant et Vendryes qui est un spécialiste des aèdes, pas simplement des grecs, des celtes en particulier, des aèdes celtes, des aèdes, il y en a dans toutes les sociétés. Les celtes sont très connus car ils ont été très étudiés. Les roms aussi, il y a des sociétés d'aèdes dans ces régions-là des Balkans, les turcs dans les très beaux films, celui qui a fait un très beau film depuis sa prison, Yılmaz Güney qui a fait un film magnifique qu'on voit les poètes turcs qui sont des aèdes aussi.

Quel point commun la plus part des poètes ont tous? Ils sont tous aveugles, comme l'était Homère... en tout cas, dans les sociétés-là très souvent les aveugles sont des poètes. Et si vous vous dites Homère ne voyait pas et maintenant vous lisez l'Iliade, c'est beaucoup plus lisible que n'importe quelle production hollywoodienne. Et si vous lisez l'Iliade, c'est hallucinant, de visibilité!

Et bien ces poètes qui sont aveugles, ils voient l'invisible, plus loin que le visible. Et nous dira Vendryes, ces visions très proches des devins, elle passe par des pratiques de mémorisation parce que la poésie, à cette époque-là, sert essentiellement à conserver la mémoire.

Un vieillard qui meurt c'est une bibliothèque qui brûle
Un grand penseur africain; Amadou Hampaté Bâ



Toute la mémoire de la tradition africaine est dans l'esprit de ces gens-là. Mais c'est déjà le cas des poètes grecs qui viennent de la tradition homérique (avant l'écriture). Orphée représente la littérature, et en même temps, il hérite de la tradition orale. Une mémoire qui n'est pas une mémoire spontanée, une mémoire technique mais par une mnémotechnique qui consiste à apprendre par cœur. Les poètes en général, ce sont des enfants aveuglent qui ont été recueillis par la cité et on les a spécialisé dans l'apprentissage de la mémoire.

Après cela a évolué, ils sont devenus musiciens, ils s'accompagnent d'une lyre et ils sont aussi comédiens, ils ont un costume, ce sont des saltimbanques. Et ils racontent de mémoire et en improvisant, l'histoire de la société. Et dans ces improvisations, ils créent ... par moment, ils sont procédés par cette mémoire parce que cet apprentissage par cœur qui est aussi rythmé d'une certaine manière, les met dans un état second. État second, sur lesquels, on peut aujourd'hui avoir des explications très précises, état second qu'on trouve aussi chez les fakirs qui existent réellement, qu'il y a des productions d'adrénaline d'un certain type, des phénomènes respiratoires qu'on trouve dans la tradition judaïque, une certaine manière de raconter de dire la Bible. Et ça produit un état, à l'intérieur duquel, à un moment donné que tout à coup l'être est saisi et procédé il est dans un état de délire, de transe... Et il est envahi tout à coup, les démons, les dieux, le surnaturel arrive en lui et là, il se met à révéler des choses à la cité.

Je dis tout ça car c'est ça qui est à l'arrière plan de la convocation de Perséphone dans Ménon, c'est ça qui fait que les poètes sont les héros du Banquet. C'est ça qui relie l'amour à la poésie et à la mystagogie et c'est ça qui fait le sujet de ce cours.



Mes troubles cela a donné : années 70, 80, 90 - 96 - 98 - 2001 - 2002 - 2004 - 2005 - 2006 - 2008 - 2012 - 2013



Mes troubles cela a donné : mais surtout 1990



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Compréhension

Mot clé

Trouble


Rouge = MOI - SOI
GRIS = VOUS
BRUN = Tertiaire - MONDE
Orange = Poisson noétique
Turquoise = Personnages
Bleu = Oeil du cyclone - Mort
Rose = Les sophistes
Vert = Les questions

Par rapport à nous ~~~~~~~~~~~ Par rapport à soi




Cours en différé du 5 février 2011- Cours8 -2 de Bernard Stiegler à l'école de philosophie d'Epineuil le Fleuriel,




24 février 2015